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LeCartophile
17 mars 2008

Carte Postale #25

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   Il existe encore dans notre monde moderne des villages perdus au beau milieu de nulle part. Ils possèdent de nos jours l'ADSL, ils ne sont plus isolés de la couverture des téléphones portables, ils existeraient presque pour peu  qu'il y ait une vie là-bas. Quelques iroquois y restent, propriétaires terriens, éleveurs et dinosaures utopiques des années hippies. Il y aurait de la vie pour peu qu'il y ait encore du commerce ou de l'artisanat.

   A Saint Bonnet des Quarts par exemple, il fut un temps où l'on comptait plusieurs bistrots, il y avait même une épicerie-bazar-torréfacteur qui faisait aussi la ligne de car jusqu'à Paris, via la nationale sept, en deux jours, une sorte de supermarché de l'époque. Quasiment florissant que c'était Saint Bonnet à l'époque, un bourg moderne.

   Aujourd'hui il ne reste qu'un bistrot et une épicerie. Les meilleures du monde bien entendu, mais en face du bistrot, la boucherie a fermé, en face de l'épicerie, la boulangerie n'est plus que ruines. On y fit du pain un jour pas du pain extraordinaire, mais du bon pain, pas du pain de plaisir comme on voit à la capitale, juste du pain pour manger. C'était Noailly qui le faisait ce pain, qu'on venait du haut de la montagne pour l'acheter. Pas parce que c'était le meilleur, c'était juste le plus près et quand le chemin pour aller au boulanger se compte en dizaines de kilomètres, c'est un argument de poids.

   Bref, Noailly, le vieux Claudius, faisait son pain mais ne le vendait jamais. La vente était la tâche exclusive de Mathilde, sa fille unique et son unique soutien puisque la mère était morte en couche attendu le délai incroyable qu'il avait fallu attendre le médecin de La Pacaudière le jour de l'accouchement.

   Mathilde était née un 14 juillet, une enfant bénie des dieux dont les parents s'aimaient d'un amour le plus beau qu'il soit, un amour parfait ; Claudius faisait le pain, Lydie le vendait, le sourire aux lèvres et le compliment dans la manche. Le jour venu de la délivrance, pour arracher le docteur Vial au banquet républicain, il avait fallu un chausse-pied et un guide bien patient qui le tenait en selle tant il avait éclusé de vin de la Côte.

   Quand le médecin arriva, la mère perdait bien autre chose que les eaux, et le praticien, plein de bonne volonté, s'endormit néanmoins plusieurs fois tandis qu'il pratiquait la mise bas. La fille vécut, la mère mourut : la fatalité en quelque sorte.

   De ce jour-là Claudius changea.

   Comme un fait exprès, la boulangerie sembla devenir plus sombre, comme le devint son propriétaire. Il travaillait dur, Claudius pour tenir son petit commerce, et il servait nonobstant les pleurs de la petite dans l'arrière-salle. On lui disait bien qu'il fallait s'occuper du bébé, il rétorquait aussitôt qu'il fallait qu'elle s'habitue parce que sa vie, elle allait la passer entre ces quatre murs : la boulangerie il ne pourrait pas la tenir tout seul bien longtemps.

   Alors qu'elle avait à peine huit ans, le village s'habitua à voir une petite fille distribuer le pain. Le maître disait bien au père Noailly qu'on pourrait au moins la mener jusqu'au certificat d'étude, celui-ci ne voulut rien savoir. Dès que Mathilde fut capable de compter la monnaie, il la plaça à la caisse. Elle n'y était pas malheureuse les premières années, c'est agréable  pour un enfant de se sentir importante, puis elle commença peu à peu à se lasser.

   Vous pourrez demander à tous ceux qui ont connu Claudius : c'est alors qu'il retrouva le sourire et qu'en même temps il disparut.  Quand la petite l'aidait avec avec gaieté à la caisse, on pouvait encore le trouver au café Barthaut, en train de boire la goutte. Du moment que la petite voulut s'émanciper, il n'hésita pas le père Noailly et se paya une carriole et un baudet. De temps à autre même il allait à l'épicerie-bazar et s'achetait un billet pour la ville.

   Pendant ces absences, Mathilde s'occupait seule de la boutique. Il ne partait guère que pour un jour ou deux, et laissait assez de pain pour les gens puissent venir faire provision; ces jours-là, Mathilde en profitait pour faire les comptes.

   Au retour, le père Noailly était ravi. Il s'enfermait dans son fournil et préparait le pain en sifflant, d'aucun disait qu'il allait chez les dames, à Roanne, à Lyon ou à Paris. Le facteur mit bientôt chacun au courant que le boulanger avait bon nombre d'amis dans les villes. La preuve en était qu'il recevait systématiquement une bonne demi-douzaine de cartes postales après ses pérégrinations, toutes portant un paraphe différent. Nul ne se doutait jusqu'alors que le père Noailly pût connaître tant de personnes.

   Ce devint une véritable kermesse que les retours de Claudius : il ne résistait pas à vous faire la lecture, ou plutôt à la faire faire à sa fille qui lisait mieux que lui. C'étaient des mots d'amitiés, parfois de simples signatures, toutes différentes, et Claudius n'hésitait pas à vous conter les diverses circonstances qui lui valaient tant d'amitiés.

   C'était l'ingénieur Machin qui lui écrivait, ou bien le commissaire de la ville lui-même, parfois, madame la Comtesse lui envoyait un petit mot, enfin bref, tout un aréopage qui semblait le courtiser. Le vieux Noailly rayonnait. Sa fille, elle, sans cesse au labeur, se desséchait un peu plus chaque jour. Ses attraits se fanaient si vite qu'on la prit bientôt pour la contemporaine de son père, seules les adresses des cartes postales : " Monsieur et Mademoiselle Noailly" rappelaient qu'il s'agissait du père et de la fille.

   Cependant les années firent bien plus de dégâts chez Claudius que chez Mathilde, et il vint un jour ou le vieux boulanger ne put plus se relever. On retourna chercher le médecin à La Pacaudière, qui vint plus promptement mais ne fut pas plus efficace qu'il l'avait été lors de l'accouchement : Claudius allait bientôt mourir, le coeur ne tiendrait guère longtemps.

   Les vieilles du village vinrent en pleurs lui révéler la nouvelle, à leur grande grande surprise, l'annonce ne fit naître qu'un sourire sur le visage du boulanger, et une demande : "Faites donc venir la Mathilde !" . Elle entra dans la chambre du mourant les yeux mouillés, elle en ressortit quasiment défigurée par le chagrin. Tant d'amour, c'était beau.

   On enterra le Claudius. et deux semaines après sa fille. Tant d'amour, c'était beau. Nul ne sut ce qui s'était dit dans la chambre. Il aurait fallu être une petite souris pour voir le vieux Noailly sourire à sa fille et lui dire:

    - Ca te fait bien chier de rester au village tandis que je suis à la ville hein ?
    - Quoi le vieux ?
   - Et ben je vais te dire un truc qui va te faire encore plus bien chier. A la ville j'y vais juste pour m'envoyer des cartes postales, pour faire croire que j'y ai des gens que je connais. Qu'est-ce que t'en dis hein ?
    - Je comprends rien.
    - Ca te fais bien chier de rester enfermée alors que je vais faire la foire hein ? Ca t'a bien pourri ta vie hein ? Et ben j'en suis bien content !

    Comme la fille restait horrifiée, ne sachant quoi dire, le vieux poussa sa dernière botte :
    - C'est toi qui l'a tuée la Lydie : tu l'as mérité ta vie de merde.

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Commentaires
C
C'est un jeu de mots, ou quoi ?<br /> :)
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S
Je croyais avoir commente, mais en fait non, j'avais pas eu le temps. Dommage, ce jour-la j'avais une super idee de commentaire, avec un compliment et tout. Mais je m'en rappelle plus. Va te faire voir, donc :)
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T
Tant d'amour, c'est très beau, en effet... (tu sais que c'est pas facile de faire des commentaires sans te faire de louanges? hein?)
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M
Vagant } Tirez tirez, il en restera toujours quelque chose.<br /> <br /> Chantal } C'était l'ASSBQ.<br /> <br /> Mimi } Non, un docteur qui fait mourir ses patients c'est somme toute normal.<br /> <br /> Largentula } Cool merci.
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F
Bien triste sir que ce boulanger,<br /> <br /> La carte postale que vous allez recevoir n'est pas de vous, je puis le certifier !<br /> Elle est ancienne, je puis le certifier également...<br /> Quand à son texte... ben maintenant c'est ton problème... huhuhu
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