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LeCartophile
15 mai 2008

L'ogre.

   

lmaje soleil écrase la vallée. On doit être en été comme le suggère la hauteur des herbes folles de certaines pâtures, comme le suggère aussi la gangue de torpeur qui a envahi le village. On peut dire qu'il n'y a pas un bruit tant sont monotones les stridulations des grillons et le ruissellement de la petite rivière. D'ici on ne les entend guère, mais deux rires s'élèvent presque sans discontinuer de deux sillages fendant les chiendents. Pourtant si l'on s'approchait un peu, si l'on s'approchait beaucoup, on serait pris dans un tourbillon de cheveux, de jupes, accompagné d'un nuage de sauterelles.

    Elles sont deux à jouer follement dans les herbes que dominent à peine leur chevelure, l'une blonde et l'autre brune. Quand elles se baissent, elles se perdent l'une l'autre. Alors elles se relèvent, se poursuivent, courent ou rampent, crient, pouffent, s'attrapent et rient à pleine gorge en roulant parmi la végétation. Elles sont essoufflées, leurs mollets égratignés saignent un peu et grattent beaucoup, elles suent tellement que leurs habits leur colle à la peau. Elles allaient reprendre leur poursuite mais soudain elles s'arrêtent.

    Elles étaient tant à leur affaire qu'elle ne l'ont pas vu arriver. C'est une silhouette d'abord, parce qu'il est à contre-jour et qu'on ne peut guère le regarder qu'en fermant un oeil et en plissant l'autre. Quand on met la main en visière, pour éviter d'être ébloui, on peut constater qu'il s'agit d'un jeune homme, mince et presque maigre, qui affiche un certain soin dans son apparence. Malgré la terrible chaleur du soleil au zénith, il a gardé un pantalon, et des chaussures fermées. Il regarde les enfants avec un sourire bienveillant qui dénote cependant une assurance peu commune.

    Les petites s'avancent, soudain plus calmes. Il semble les attendre. Il les attend. Autrefois, il les a apprivoisées, et il n'ont plus besoin aujourd'hui d'échanger la moindre parole. Elles lui prennent la main ,la blonde à droite, la brune à gauche et le cortège se met en marche, le pas assuré. Le jeune homme siffle un air déjà entendu, une chanson de boucher et de Saint Nicolas. Ils tournent bientôt à droite : le chemin est rare et descend jusqu'à l'ancien lavoir tout en bas du village,  sous les frondaisons  d'un grand aulne.

     Là, les maisons se sont écroulées et personne ne vient plus sinon pour chercher des champignons. L'eau est peu profonde et très claire : le fond de la rivière est fait de petits galets. On y trempe un pied pour rire, puis un deuxième, on s'éclabousse pour rire, et puis on rit beaucoup. Bientôt les robes trempées sèchent au soleil sur une large pierre et les deux enfants s'éclaboussent avec les mains. Elles s'ordonnent l'une à l'autre d'arrêter, ce qui les incite à continuer.

    Le jeune homme s'est mis à l'écart, assis sur un rocher, il cueille des petits graviers dans la paume de sa main gauche et le jette au mitan de la rivière, il fait des ronds. On a l'impression qu'il n'épie pas les deux fillettes. Il va arriver cependant un moment où il quittera son affût. En amont, l'eau volera sans cesse, dessinant presque un arc-en-ciel. Il se penchera nonchalamment sur le cours d'eau, recueillera quelques gouttes dans la coupe de ses mains, les portera à sa bouche pour les engloutir avec des manières de gourmets.

    Elles riront de lui, de son visage qui se crispe soudain, de ses yeux mi-clos dont on n'aperçoit plus que du blanc, de sa bouche entrouverte d'où pourrait sortir un grondement animal. Elles riront parce qu'elles ne connaissent pas sa colère. Elles sont comme ça les petites filles auxquelles ont n'a pas assez lu de contes de fées. Elles n'ont plus peur des ogres.

§§§

    Les plus anciens de mes lecteurs reconnaîtront ce texte, du moins en reconnaîtront le thème. J'espère que la forme en est un peu meilleure.

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Commentaires
S
C'est si plaisant de retrouver d'anciens textes qu'on se demande pourquoi tu te fais chier a en ecrire de nouveaux...<br /> ;)
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C
Monsieurmonsieur > Et bien, je fais encore régulièrement un tour à la buvette, où je me sers toute seule comme une grande, vu que le patron a abandonné les lieux: tri sur "textes à lire", c'était octobre 2006.
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L
Dans la version "officielle" du petit chaperon rouge, le loup ne la mange pas mais il est le personnage qui la fait passer de l'état d'enfant à celui d'adulte. Par contre il mange la grand mère, et en fait gouter un morceau à la fillette.
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B
Et où est -il ce premier texte ?
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M
Mimi } Comme quoi le travail, le travail. Oh fichtre je viens d'avoir une idée.<br /> <br /> Largentula } Ca me fait plaisir. Vraiment.<br /> <br /> Mère Castor } A utiliser néanmoins. Ma soeur, qui est une psychopathe (la preuve, elle vient d'avoir un bébé)adorait les histoires d'ogre et ne supportait pas que l'autre connard de bucheron sauve le petit chaperon rouge.<br /> <br /> Chantal } Pas de suite. Comment as-tu trouvé l'autre texte ?<br /> <br /> Berthoise } Et de quoi les ogres ont-ils peur ?<br /> <br /> LeuWarou } Votre tour viendra, et avant qu'il soit longtemps mon cher personnage.<br /> <br /> Cécile } Toi-même.
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