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LeCartophile
10 octobre 2007

Carte Postale #1

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Il était admis au village que Berthe Jacquelin, la Berthe on la disait, était le plus beau parti du canton. Fille de Blaise Jacquelin, propriétaire forestier, elle avait les yeux bleux rieurs, les cheveux comme les blés de chez Vanderhote et une silhouette qu'on devinait voluptueuse sous ses larges robes. Qui plus est, la Berthe était chaste et prude, si bien qu'à dix-huit ans révolus, on n'avait jamais trouvé une rumeur pernicieuse qui l'eût pour objet. Il était admis enfin qu'elle rendrait heureux et fier le veinard qui saurait lui faire dire oui.

En effet, les prétendants se succédaient régulièrement et, tout aussi régulièrement, étaient écartés par la jeune fille. Et parmi tous ces bons gars, ceux qui venaient se remonter le moral au troquet Maison Morel rapportaient que la Berthe se livrait à un rituel étrange. Dans la salle à manger, devant les parents qui fixaient ostensiblement le plancher, la jeune fille tendait à son soupirant le nécessaire à écriture : plume, encre et papier, puis lui demandait d'écrire son nom et son adresse. La chose faite, elle se retirait dans sa chambre puis revenait au bout de peu de temps lui signifier son refus.

L'incompréhension consécutive à ce cérémonial amenait les malheureux recalés à élaborer au troquet Maison Morel les théories les plus extravagantes avant de s'effondrer dans la sciure, ivres de Chablis. Sûrement qu'il lui fallait un monsieur de la ville à cette pécore - l'amour déçu a tendance à se transformer en mépris à mesure que le degré d'alcool augmente. Sûrement qu'il lui fallait une grosse tête avec une écriture distinguée. Sûrement qu'elle allait dans sa chambre consulter des oracles, appeler les esprits, que derrière le visage d'ange il y avait une sorcière. Sûrement qu'elle avait une copie du cadastre et qu'alors on n'avait pas assez de terre pour Madâââme. C'est ainsi que la Berthe se fit une réputation d'extravangante.

Pourtant la réalité était bien plus simple : Mademoiselle Berthe Jacquelin était amoureuse. Elle aimait follement, à la fureur un homme dont elle relisait chaque soir à l'envi les cartes postales. Ces cartes qu'elle qu'elle cachait dans une boîte elle-même cachée sous une latte sous le lit. Ces cartes au contenu toujours inattendu,  toujours charmant, toujours divers : des cartes de déclaration, des cartes d'amour comme toute jeune fille rêve d'en recevoir. Et qui arrivaient comme on en rêve, au juste moment où l'on en désirait une.

Ces cartes n'avaient qu'un seul défaut : là où aurait dû paraître un nom, une signature quelconque, il n'y avait à chaque fois qu'un point d'interrogation. Cette mystérieuse signature n'était d'ailleurs pas pour rien dans l'embrasement des sentiments de la jeune fille. Certains détails laissaient entendre que l'énigmatique correspondant connaissait Berthe au quotidien, l'épiait peut-être.

De son côté, Berthe faisait montre de la même inventivité que ses ex-futurs pour établir de romantiques hypothèses expliquant cet état de fait. Elle s'était d'abord mis en tête que le pauvre homme était affublé d'une telle hideur qu'il n'osait se déclarer en personne. Elle fréquenta les divers handicapés  des environs et put constater qu'à la tare physique était souvent lié un manque d'éducation certain, comme le voulait l'époque. Elle se lança donc sur la trace des hommes mariés à de reconnues mégères, puis tenta une approche du curé, éconduisant cependant les prétendants qui se présentaient encore.

Les années passant, ceux-ci se firent d'autant plus rares que la beauté de la Berthe vint à passer pour ne laisser qu'un masque de neurasthénie sur l'éternelle jeune fille dont la réputation de folie et de morgue allait grandissante.

Aujourd'hui, les affaires du père Jacquelin ont périclité, faute d'un homme pour les reprendre, et la Berthe n'ayant pas voulu se séparer de l'héritage, elle gagne chichement sa vie en faisant du travail à façon. Cela fait quelques années déjà que les cartes postales ont cessé d'arriver, mais elle n'a pu faire le lien avec le départ ou la mort d'aucun homme.

Eût-elle été plus attentive, elle aurait constaté qu'à ce moment précis la Rosemonde Falloux - une belle fille aussi, mais un caractère de cochon et jalouse, jalouse...- fit un beau mariage avec le boucher de Saint Maximin. La Rosemonde Falloux, on l'aurait remarqué s'il n'y avait pas eu la Berthe.

Une bonne élève, la Rosemonde.

Une belle écriture. Un peu masculine peut-être, l'écriture.

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Commentaires
M
Tiphaine } A demain.
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T
c'est promis, une par jour, je me délecte à l'avance ! J'ai déjà fait mon devoir du jour alors je ne regarde surtout pas la carte postale n° 3 ! A demain!
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M
Tiphaine } va falloir rattrapper les devoirs maintenant.
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T
pfiouh ! enfin arrivée ! Scusez moi pour le retard ! Mon chien a mangé mes devoirs et le réveil n'a pas sonné... Quel bonheur de te retrouver quand même!
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M
Berthoise > Et on y va doucement doucement ma chère amie.
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