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LeCartophile
18 février 2008

Carte Postale #19

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Quand on arrêta le docteur Guillaume Monges, tout le village vint par curiosité, lui faisant comme une haie d'honneur vers le panier à salade. A part le principal interessé, qui, héberlué, semblait ne pas réaliser et se laissait traîner,  chacun savait que cela devait arriver. L'information avait bien circulé au pays, et le principal moyen de cette information suivait le trio formé par les deux gendarmes et Guillaume. Son uniforme à lui était d'un autre type : le facteur Henri Vial fermait la marche, gonflant le torse en héros, histoire de mettre en valeur la médaille fictive qu'il s'était lui-même attribuée.

Henri Vial avait été élevé dans un milieu qui se vouait corps et âme au service de la Patrie. Le père, hussard noir de la République, était revenu des tranchées de la Marne avec la fierté du devoir accompli et la certitude que  les générations à venir devaient à leurs aînés de servir aussi aveuglément qu'eux la République. Sommé d'opter pour une carrière au sein de la fonction publique, Henri, sevré de guerre et peu doué pour les études, Henri se destina à la glorieuse carrière de préposé aux postes.

Il donnait du jarret avec un enthousiasme certain sur les petites routes de campagne afin de servir avec célérité les habitants les plus perdus, été comme hiver et quel que soit le temps. Autant dire qu'il était apprécié de tous, et qu'on ne tarissait pas d'éloges à son propos au bar du village. Il n'avait qu'un petit défaut : il était un peu simple.

Henri avait tendance à prendre au pied de la lettre chaque injonction qu'on pouvait lui faire, quand on lui parlait de second degré, il se demandait s'il fallait qu'il prenne sa température et jamais il ne pouvait lui venir à l'idée qu'on pût se moquer de lui.

Bûté, aveuglé par son sens du devoir, il s'échinait par exemple à retrouver les destinataires des lettres sur lesquelles on avait écrit les adresses les plus approximatives : "Claude, derrière le gros tas de fumier " ou " La vieille qui boit, dans le tournant". Il ne lui était pas même venu à l'idée que le notaire et le médecin s'adonnaient à un concours, un jeu qui consistait non pas à savoir si Henri trouverait le destinataire - il le trouvait toujours - mais combien de temps on avait pu retarder cette échéance.

La vie dans ces campagnes était assez ennuyeuse, et c'était le seul divertissement auquel les deux notables aient accès hormis la chasse. Plus taquin, le docteur Monges avait vite pris quelques jours d'avance sur son adversaire et meilleur ami, avance qui ne cessait de croître au fil du temps. Ce dernier par contre menait d'un sanglier et de plusieurs chevreuils au tableau de chasse, en somme ils se partageaient la suprématie dans leurs passions.

C'est d'ailleurs cet engouement qui l'emmena jusqu'en Angleterre : il y fit l'achat d'une carabine de marque Peabody, comptant bien, grâce à l'arme d'exception, reprendre quelque peu son retard. Il ne résista d'ailleurs pas en cette occasion à écrire à son ami au pays, une carte un peu mystérieuse, histoire de l'allécher :il y parlait de mystère, de secret et de silence à garder. Il y faisait quelques allusions aussi à leur passion commune,lui demandant si son fusil était prêt.

Alors qu'il s'apprétait à mettre cette carte à la boîte, il la regarda une dernière fois, secoua la tête devant son inconséquence et alla acheter une enveloppe. La lettre passa le Channel sans que les postes de sa Gracieuse majesté y soient pour rien et fit son chemin jusqu'au village.

Naturellement, Henri Vial fut chargé de sa distribution et il flaira tout de suite l'anomalie. Sur le timbre, la flamme ne pouvait pas tromper un facteur d'élite : c'était un modèle qu'on n'utilisait plus en France depuis maintenant un an et demi. Il y avait quelque chose de louche la dessous. Et en cas de choses louches, un agent de l'Etat assermenté se devait d'intervenir. Le facteur ouvrit donc discrètement l'enveloppe et lut le contenu de la correspondance du médecin.

Pour la première fois il fut confronté à un dilemme et pour la première fois il alla boire un coup au bistrot. Il s'ouvrit discrètement du problème qui le taraudait, du moins croyait-il que c'était discret. Mais on lui fit bien sentir que ce qu'il devait faire en cette occasion, c'était tout ce qu'il avait envie de faire : obéir à sa hiérarchie.

Il fit donc son rapport et dès le lendemain de son retour, une paire de gendarmes vint dès le matin de son retour sortir Guillaume Monges de son lit et l'emmenèrent, sans discrétion aucune, menottes au poing jusqu'à la ville où on l'interrogea sans aménité, en compagnie de son ami le notaire, arrêté la veille au soir.

Monges tenta bien de se justifier, il ne s'agissait que de l'achat d'une carabine pour la chasse juste ça. Oui il était allé faire cette emplette en Angleterre, mais c'était parce qu'en France on n'en trouvait pas de pareille. Le délit était bénin.

Sauf en 1942.

Ils furent déportés le lendemain, fichés "terroristes".

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Commentaires
C
Aaahhh, mais ton ami aurait pu te téléphoner non ? Pour voir si la carte était arrivée ?<br /> D'accord je ne dis plus rien--les postes néerlandaises se sont fait racheter par TNT... Et les français chauvins je les aime !
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S
Tout cela me fait realiser que je peux vous envoyer des cartes postales sans connaitre vos adresses. L'idee semble fun...
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B
J'ai un pot de crème de marron et en cherchant bien ...une badine, ça ira ?<br /> Pour dire que j'aime beaucoup ce que vous faîtes.
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M
Chantal } Si elle était pas arrivée, comment j'aurais su qu'elle existait hein ? Et puis ça c'est bien d'une hollandaise de critiquer les P et T, fleuron de notre République. signé : SUPERDUPONT.
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C
Et est-ce qu'elle est arivée la carte ? Car moi j'ai eu un mal fou à recevoir du courier dans ce quartier-là !
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