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LeCartophile
28 janvier 2008

Carte Postale #16

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Le rituel était toujours le même quand passait le facteur : Lucie, la mère, ramenait la carte postale et la posait sur la table en faisant mine de ne pas bouillir de curiosité. Sa fille Berthe, qui savait lire la prenait et d'une voix claire lisait lentement le contenu. La vieille plissait les yeux de contentement à l'écoute des mots d'amour, on sentait frissonner de vieux souvenirs. A la fin de la lecture, elle mettait cette nouvelle carte dans la boîte à chaussures. C'est là qu'étaient classées, par ordre d'arrivée, les missives que Jacques écrivait à Berthe : un kilo cinq cents de mots d'amour que la destinataire repoussait vigoureusement sous son lit.

Il faut dire : c'était un personnage, la Berthe.

Et ce fut sûrement la raison pour laquelle Jacques eut un coup de foudre pour elle. Originaire de Nîmes, il avait dû un jour pour des raisons professionnelles monter jusqu'à des destinations quasiment groënlandaises. Bref, il avait pénétré les montagnes du Bourbonnais, bien au Nord de la vallée du Rhône, et par un beau matin glacial de mai cette fille du Nord, la fille de la patronne de l'hôtel, avait envahi son univers. S'il avait connu la Chevauchée des Walkiries, nul doute que cette musique eût retenti sous son crâne tant il avait été impressionné.

Il n'avait pas hésité et, jetant aux orties sa timidité, il avait mis un genou en terre devant la fille de l'aubergiste, lui tenant un discours décousu dans lequel le chant des oiseaux et les étoiles se taillaient la part du lion dans un grand brouhaha d'amour et de toujours. La Berthe avait rosi. Jacques s'était fendu d'un télégramme pour demander quelques jours de congés, prétextant une fluxion de poitrine d'une virulence qu'on ne connaît que dans le Grand Nord.

Ils se promenèrent main dans la main, deux jours durant, dans ces gorges où la Loire n'était qu'un gros ruisseau. On dit même que quelques baisers furent échangés derrière un buis sauvage.

Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, et Jacques s'en retourna dans ses garrigues. Cependant, avant de partir pour de bon, il jura, les yeux dans les yeux qu'il ne se passerait pas deux jours sans que Berthe eût de ses nouvelles. La jeune femme retourna à ses fourneaux et reprit sa vie de ballons de rouge et d'omelettes au lard. Lucien le facteur vint deux jours plus tard, brandissant une carte postale -qu'il avait lu bien sûr- grand événement en soi, puisque l'hôtel ne recevait habituellement que des factures.

C'était une lettre d'amour, et le fait que Lucien l'ait lue n'était pas si grave car elle semblait sortie d'un dix-septième idéal, écrite par un explorateur courageux de la Carte du Tendre, et ce cher fonctionnaire rural n'y avait rien compris. Elle commençait par ces mots : "Ne me tenez pas rigueur, mon cher ange, de mon délaissement de ce soir", elle était écrite à la plume sergent-major, et respectait avec bonheur les pleins et les déliés. C'était une dentelle de sentiments délicats et d'encre noire.

On y embrassait chastement dans ces courriers, caresses et sentiments enivrants s'y succédaient, les promesses absolues faisaient presque oublier les déclarations les plus délicates. C'était un rêve de jeune fille, une aérienne avalanche de mots doux susurrés à l'oreille, c'était beau comme une statue antique, doux comme une fourrure sauvage. C'était tout ce que pouvait demander une femme.

Ainsi le facteur passait, il passa ce mardi-là un peu en retard. Berthe était attablée, mangeant avant que le client ne descende de la chambre. Lucie, la mère, posa la carte sur le coin de la table. Sa fille ne lâcha pas son pot-au-feu. Il y eut un long moment, un long moment de gène pour l'une, un long moment d'aspiration pour l'autre car l'os à moelle était fort étroit.

" Berthe, tu ne lis pas ce qu'a écrit Jacques, ma fille ?
- Ecoute la mère, j'suis en train de jaffer et pour tout dire, depuis le temps qu'il dit des trucs moyen cochon et qu'il les fait pas, il commence sérieusement à me casser les meules, l'aut' pingouin."

Il faut dire : c'était un personnage la Berthe.

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Commentaires
A
:-)) des trucs moyen cochon...? c'est déjà ça
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T
MonsieurMonsieur, c'est le drame de ma vie, je vais de grands moments de solitude, en grands moments de solitude...
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M
Martin-lothar } Le côté érotique d'un os à moelle, c'est le bout pas encore coupé.<br /> <br /> Berthoise } Et désintéressé l'avis.<br /> <br /> Tiphaine } Mince... J'ai pas compris.<br /> <br /> Mère Castor } Encore que, si vous ouvriez les congélateurs nîmois, vous en auriez des surprises.
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L
Le pingouin est cependant rare à Nîmes, question de climat.
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T
Elle ne paie donc pas de Nîmes cette Berthe !
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