Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LeCartophile
19 novembre 2007

Carte Postale #8

Num_riser0003Num_riser0002


    Lyon est une grande ville, et y rencontrer de suite une demi-douzaine de personnes qui vous claquent le beignet ne tient pas de la coïncidence, mais d'un plan machiavélique destiné à vous humilier en public. Malgré son uniforme, Yves hésitait pour l'instant à passer le coin de la rue Bellecordière, sûr qu'une nouvelle paire de claques l'y attendait. Rumilly par contre est juste un bourg de Haute-Savoie qui ne compte qu'une vingtaine de rues. S'y faire un ennemi est une mauvaise nouvelle puisqu'on a du mal à l'éviter. Parfois même on a du mal à l'éviter ailleurs. C'est ce qui était en train  d'arriver au caporal Yves le Pape.

    Quand la guerre fut venue,  Yves fut déçu d'être  affecté à un régiment de la coloniale : il ne porterait pas le pantalon garance ni la capote bleue, mais le terne uniforme de la Coloniale. Quand il vit quelle belle cible les pantalons rouges faisaient pour les mitrailleuses allemandes, il commença à changer d'avis. Et comme l'homme était débrouillard, il réussit à être souvent envoyé à l'arrière où il se rendit vite compte que la couleur du vêtement importait peu, le charme opérait toujours.

    Il fit donc de belles rencontres, des élégantes en quête de héros, des patriotes voulant récompenser   les fils de France, de bonnes âmes émues par les épreuves des valeureux piou-pious. Il les aima toutes d'un même amour, un mélange de plaisir de la chasse et de gourmandise sensuelle, sexuelle s'il le pouvait. Il faut dire que le caporal le Pape avait entendu les balles siffler au dessus de son casque ce qui lui avait révélé la fragilité de l'existence.

    Il voulait donc accumuler ces bons moments avant que la Camarde vienne l'en empêcher. Il y eut des Françoises, des Angèles et des Jeannes, il y eut des Eugénies et des Maries. Il y en eut deux des Maries, l'une gône, l'autre allobroge. Jusqu'à tant la coincidence n'était pas si évidente. Qu'elles habitent l'une à Lyon, l'autre à Rumilly, voilà qui n'avait pas non plus de quoi casser trois pattes à un canard.  Mais que l'on vous dise que dans l'une et l'autre ville se trouve une artère dite de Choulans et vous voyez alors se profiler l'incident.

    D'ailleurs, tandis qu'il se promenait au bras de la Marie savoyarde, Yves avait souri à l'entrée du chemin de Choulans, pensant à sa bonne amie, Marie la lyonnaise, qui habitait Montée de Choulans, sous la Croix-Rousse. Il eût mieux fait de n'y prêter aucune attention.

    Du front, Yves gérait son cheptel sentimental à coup de cartes postales au recto patriotique. Les messages étaient convenus et faits de bons sentiments, de baisers fougueux, quelquefois même Yves passait la plume à un de ses nègres qui savait écrire afin que la corvée passât plus vite, lui expliquant en même temps par le menu ses exploits et s'enorgueillissant de l'admiration que les soldats lui  vouaient alors. Seule l'adresse différenciait les multiples cartes, jusqu'à ce qu'une coupable confusion de nom ne vint tout gâcher.

    Marie Galand, la Marie de Savoie ne prit pas garde à l'adresse du premier courrier qui lui parvint après un long silence. Puis la régularité de ces courriers, la permanence de l'erreur commença à lui mettre la puce à l'oreille, d'autant qu'une lettre lui était parvenue, dans laquelle Yves, maladroitement, tentait d'expliquer qu'une lointaine cousine habitant Lyon et très malade avait une adresse dans laquelle se trouvait une rue de son village et que par conséquent...

    Marie Galand prit alors ses renseignements et trouva grâce à la diligence de l'administration des Postes une Marie Rémolain qu'elle s'empressa de visiter. Le pot aux roses fut bientôt découvert et les deux jeunes femmes étant d'un naturel suspicieux, elles menèrent une campagne pour découvrir les autres fiancées qu'elles soupçonnaient exister. Les articles nécrologiques falsifiés succédèrent les uns aux autres, destinés à semer la panique chez les victimes du Casanova de la Coloniale.

    Les deux Maries furent bientôt à la tête d'une troupe de femmes bafouées non négligeable qui attendit patiemment la permission adéquate pour se poster aux coins des rues qui menaient de la gare de Perrache au bas des pentes de la Croix-Rousse. Ce fut la traversée de la Capitale des Gaules la plus longue et la plus douloureuse qu'on ait jamais vu. Quand il revint dans ses tranchées, Yves le Pape n'avait jamais eu la figure aussi marquée. Cela fit rire ses nègres.

   

 

Publicité
Commentaires
T
Encore un pur régal ! Merci ! En voilà une qui serait belle à filmer ! Je me l'imagine très bien , et ça me fait doucement sourire cette nuit.
Répondre
M
Ely > Je ne sais ce que vous voulez répondre, mais sachez que j'ai aussi une adresse email.<br /> <br /> Jacques > Vers le glacier...<br /> <br /> Mlle Bille > C'est toujours plus long qu'une partouze. Pardon.<br /> <br /> Stv > J'aurais pas répondu ça au dessus, j'aurais dit "ah c'est du joli".
Répondre
M
Punaise j'avais pas répondu.
Répondre
E
quel humour :)<br /> <br /> (je ne sais pas trop où vous répondre cher monsieur-monsieur mais j'aime bien ce que vous faites quand même)
Répondre
J
Elles se sont trouvé une copine les Deux Maries, ce qui a donné la rue des Trois Maries, à coté du Palais de Justice des 24 colonnes. ;-)
Répondre
Publicité