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LeCartophile
11 novembre 2007

Carte Postale #7

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    Quand on est adolescent, on aime à se faire peur en se racontant des histoires terrifiantes. Les pires sont celles que l'on croit vraies parce qu'elle sont arrivées à l'ami d'un ami, elles ont souvent le même thême : une mystérieuse auto-stoppeuse qui disparaît soudain après avoir averti le conducteur d'un danger imminent et sauvé par là même la vie de plusieurs personnes. Elle oublie souvent une preuve de son passage sur le siège, l'autostoppeuse.

    René Mongeot n'est pas né au temps des automobiles. C'est à peine si de sa bonne ville de Roanne une ligne de cars rejoint Paris, sur une nationale sept poussièreuse, l'asphalte n'existe pas encore. René Mongeot habite une ville encore bourgeoise, capitale de la bonneterie, une ville d'ouvriers et de patrons paternalistes, qui comprend, atout non négligeable, un pont enjambant la Loire et fait de la cité ligérienne un passage obligé depuis la vallée du Rhône.

    René Mongeot ne connaît donc rien des histoires de Dame Blanche qui ne naîtront que plusieurs décennies plus tard.

    René est beau garçon. Il est doux et attentif aux autres. Il travaille comme contremaître au port, ce n'est pas rien le port d'où part le canal vers Digoin, c'est le port le plus éloigné de toutes les côtes de France. Quant il l'a su, le jeune homme a vu son travail autrement, il faisait en sorte quelque chose d'exceptionnel, il n'était plus n'importe qui. Il est comme ça René, capable de tout pour voir la vie du bon côté.

    Sa bonne amie c'est Jeanne, elle n'est pas vraiment très jolie, mais elle est aimable,  et puis une chose étrange : c'est le quatrième enfant de la famille, tout comme sa mère. Il suffit vraiment d'un rien pour que René s'émerveille. Ils auront bientôt tout deux vingt et un ans et pourront se marier sans demander l'avis de leurs parents, non que ces derniers ne soient pas d'accord, mais ils sont progressistes et veulent avoir le choix de leur amour.

    Il ne manque presque rien au bonheur du jeune Mongeot, peut-être un ami. Les bancs de la Communale n'ont pas été si fastes pour lui, car il était élève attentif. Enfant sage, il n'eut pas l'occasion non plus de s' acoquiner avec  les sacripants des boulevards. Ainsi il est plutôt solitaire par obligation.

    C'est d'ailleurs cela qui lui fait découvrir, à bicyclette, les abords de la ville puis qui l'incite à se perdre plus loin dans les monts alentours, parmi les petits villages de la côte. Parmi ceux-ci, le village de Renaison a sa faveur. Il allie la sauvagerie de la montagne et la tranquilité des lacs artificiels créés par les deux barrages, celui de la Tâche et du Rouchain. René aimait lire les atlas et il lui semblait que cela ressemblait à l'Ecosse.

    C'est cette montée finalement rude que René fit découvrir en premier lieu à son nouvel ami Pascal Labbé.

    Ils s'étaient rencontrés au hasard des rues et des bistrots, un mot ici, un mot là, deux discrétions qui se rencontrent et puis finalement une complicité qui naît. Ils avaient nombre de choses en commun, René et Pascal, le goût des choses étranges entre autres, celui de la vie au grand air : ni l'un ni l'autre ne se voyait en train d'écrire dans un bureau ou de serrer toujours le même sacré petit boulon.

    La randonnée cycliste du week-end était donc apparue tout naturellement comme une tradition, et les deux jeunes gens mangeaient avec enthousiasme les kilomètres pour finalement traverser bêtement les barrages, appréciant le contraste des lacs de retenue et de la falaise artificielle qui leur faisait pendant. C'était devenu un rituel qui emplissait René de bien-être. Il ne s'était jamais senti aussi bien, il n'avait jamais considéré la vie avec autant d'optimisme.

    Il n'avait d'ailleurs jamais considéré certaines choses sous l'angle qu'il découvrait à présent. Il s'était surpris à considérer de haut en bas son acolyte et à le trouver élégant, puis charmant et enfin beau, une vision toute nouvelle pour lui. Jamais il n'avait envisagé qu'un homme pu avoir un corps en dehors de lui-même.

    Leur amitié, bavarde au départ, avait laissé place à un mutisme complice au coeur duquel les yeux disait plus et mieux que toute parole ne l'eût jamais pu. Ils s'attardaient à observer du haut de l'ouvrage d'art  la plaine du roannais. Peu à peu leurs corps se rapprochèrent, leurs mains se frôlèrent. René trouvait son comparse de plus en plus élégant et intéressant et... lui-même se surprenait parfois à s'apprêter comme une jeune fille, se rasant de près avant d'enfourcher son vélo, examinant comment tombait sa veste sport avant la randonnée.

    Le 7 septembre, au retour de la course, René comprit enfin. Il lui fallut quelque temps pour accepter puis pour prendre la décision de se découvrir. Le 28 septembre, les deux jeunes gens étaient accoudés  au chemin de ronde du barrage de la Tâche et René prit son courage à deux mains, il voulait avouer son amour à Pascal;  le fait que ce dernier se redresse alors et passe dans son dos lui donne soudain l'occasion. Les mots sortent soudain puis coulent et coulent encore. Jamais René n'aurait pu dire des choses aussi fortes à Jeanne, jamais il n'aurait même imaginer pouvoir ressentir cette délicieuse sensation. Il parle et parle encore, puis se retourne.

    Il n'y a personne derrière lui. Il n'y a même pas de vélo. Rien.

    Est-ce une fuite ? Toujours est-il que René fréquente leurs lieux habituels, demande de ses nouvelles à qui semblait le connaître. Il n'en ramène rien que du vide, une absence qu'il ne pouvait soupçonner. Il ne sait pas bien ce qu'il ressent, c'est entre la honte d'avoir avouer des choses interdites et l'horreur d'avoir tué quelqu'un.

    Au mois de décembre, René Mongeot épousa Jeanne Membré devant Dieu et dans l'église Saint Louis. Ce fut une belle cérémonie. Ils vécurent des jours heureux d'ailleurs par la suite.

    Cependant, tous les 28 septembre, Le parfait père de famille disparait sans avertir (encore que l'habitude se fût imposée). Quiconque eût réussi à le suivre l'aurait trouvé en plein centre du barrage de la Tâche. Immobile et frissonnant. Il sent une présence. Oui , là il sent une présence qu'il ne pourra jamais partager et un désenchantement dont il ne pourra pas se décharger sinon en biffant sur une carte postale l'endroit de sa déclaration. Encore et encore.

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Commentaires
A
Je les découvre, je les aime toutes, mais celle-ci nous touche particulièrement, Pascal et moi.
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T
Pierre Bellemarre doit se retourner dans sa tombe de n'avoir pas pu profiter d'une si grandiose histoire !
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M
STV > Oui mais atation.<br /> <br /> Doudou J > Revevnu ? Tout refait à neuf.
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D
d'être revenu, pas tout à fait le même mais sans doute un peu quand même !<br /> STV a rameuté la meute.<br /> Je reprendrai ma lecture apres ma réunion !
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S
:)
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